Au-delà de la torture d’Abou Ghraib

 
Youssef Aschkar, mise en ligne : dimanche 25 juillet 2004

L’affreux scandale d’Abou Ghraib a été délibérément réduit à une petite affaire disciplinaire. À un cas particulier qui fait exception à la règle. À un simple excès d’interrogatoire. La mise en accusation sera donc limitée à un geôlier, un officier, un interrogateur, un responsable de prisons et, tout au plus, un général.

Cependant, la monstruosité unique de cette torture ne peut s’expliquer par de seules bavures ou directives. Elle relève d’une doctrine de guerre, d’un ordre moral « supérieur » et d’un conditionnement initial : un endoctrinement qui sublime l’agression, et un ensemble de législations et de mesures qui protègent et encouragent l’agresseur.

C’est Washington qui a fixé cette doctrine et ces règles. C’est le président, le Pentagone, le Congrès et, surtout, la bande des Néoconservateurs qui ont conditionné les exécutants. Ils ont créé toutes les conditions pour rendre la torture inévitable. Comment ?
— Le discours officiel de Washington a déshumanisé et diabolisé l’adversaire, rendant son élimination obligatoire par tous les moyens.
— La campagne médiatique a propagé la peur et la haine pour renforcer une certaine culture de ghetto qui, loin d’être isolationniste, tend à agresser et à éliminer l’adversaire.
— L’état de non-statut juridique et humain des prisonniers et des détenus les a mis à la merci de tous les délires et de toutes les outrances.
— L’immunité accordée aux américains, qui leur permet d’agir en toute impunité, a ouvert la voie à tous les délits et et tous les crimes.

Dans une situation pareille, ce serait un miracle si un geôlier, ainsi conditionné par la peur, la haine et le mépris, échappe à la tentation de torturer ceux qui sont à sa merci.

Le crime de cette doctrine de guerre va au delà de la torture : elle déshumanise le tortionnaire autant que le supplicié. Elle déshumanise, par dessus tout, leurs sociétés. C’est ceci, en particulier, qui fait de cette doctrine de guerre un crime contre l’humanité.