Ils ne pardonnent pas au Liban la guerre de juillet

 
Youssef Aschkar, mise en ligne : vendredi 5 juin 2009

Américains, Israéliens, régimes arabes « modérés » et oligarchie politicienne du Liban sont d’accord sur une chose : ils ne pardonnent pas au Liban la guerre de juillet 2006. Il faut le punir. Pourquoi ? Pour un péché capital : il a remporté une victoire qui ne lui était pas due. Il a commis le sacrilège de se moquer de leurs tabous : de leurs tabous communs et du tabou particulier de chacun d’eux.

D’un seul coup, la guerre de juillet a démenti les credo de leur vie (ou survie) en ébranlant les assises de leurs privilèges, jugés existentiels.

Pour l’Américain et l’Israélien, cette guerre a révélé le secret capital de la nouvelle ère : le rapport des forces traditionnel n’est plus roi. Il n’est plus le seul à décider de l’issue de la guerre.

Pour les régimes arabes « modérés », cette guerre a dévoilé un mensonge, voire une tromperie : leur soumission chronique à Israël n’a jamais été justifiée.

Pour l’oligarchie libanaise, cette guerre a bafoué une sottise : elle a détrôné la soi-disant découverte « géniale », ingénieusement exploitée, qui consistait à dire et à répéter que la force du Liban est dans sa faiblesse.

Il faut donc punir le Liban pour effacer son acte dévastateur de la mémoire. Le plus tôt possible. Avant que les innombrables victimes de l’arrogance des puissants ne lèvent la tête ou même les yeux. Avant que les peuples arabes, doublement persécutés et humiliés par Israël et par leurs propres dirigeants, ne s’inspirent du cas libanais. Avant que les Libanais ne se rassurent de leur aptitude à se défendre et à survivre en dignité.

Il faut, de plus, doublement punir le Liban pour son intrusion : dans le club des puissances, il ne figurait pas. Il n’existait pas.

Dans la famille arabe, il était le petit enfant à tenir par la main pour le protéger ou pour l’arracher aux autres. On l’invitait aux cérémonies de famille, mais il était exclu des réunions des grands membres où les décisions et, le plus souvent, les non-décisions étaient prises.

Cette petite créature (selon les normes du monde militaire), appelée Liban, qui n’existait pas pour le uns et qui ne comptait pas pour les autres, la voilà surgir brusquement en solo sur la scène, forçant la porte des uns et des autres, les obligeant tous à changer les règles du jeu qu’ils jugeaient éternelles.

Cette intrusion, aux yeux des partis concernés, notamment le côté israélo-américain, est doublement grave : par elle-même, jugée humiliante, et par ses implications, trouvées intolérables.

L’implication principale étant, à leurs yeux, une invitation à respecter la nouvelle loi de l’institution de la guerre au XXIe siècle qui ne reconnaît plus aux puissants un monopole de puissance incontestable. Et Israël de se sentir appelée, en premier, à décliner l’invitation qui, à ses yeux, menace sa domination incontestable, voire sa raison d’être. Forte de la complicité des autres partis ou, tout au moins, de leur consentement implicite, elle se décide à punir le Liban.

La guerre avance. Israël la mène déjà contre le Liban sur deux fronts, à l’intérieur de ce pays et à l’extérieur, où elle intensifie ses opérations sécuritaires et ses campagnes politiques et médiatiques. Une guerre d’idées par excellence qui sert de prélude à la guerre militaire qui ne se fera pas attendre.

Les complices, notamment locaux et arabes, sont dans l’attente de l’événement et tablent sur des soi-disant profits que ceci pourrait leur rapporter, sans pour autant oser avouer leurs mesquins espoirs à la fois faux et dangereux. Le reste de la communauté internationale semble ignorer cette éventualité ou, tout au plus, la considérer chose locale. Les uns et les autres ne paraissent pas assez conscients de la monstruosité d’une pareille guerre, des dimensions qu’elle pourrait prendre et de ses répercussions qui n’épargneraient personne.

On ne peut qu’être doublement horrifié : de l’idée de cette guerre en elle-même et des impertinentes attitudes des uns et des autres à son égard.

Cette guerre sera désastreuse. Elle mettra le Moyen-Orient en flamme et se développera vraisemblablement en guerre régionale ou continentale. Elle fera des destructions matérielles et physiques sans précédent, étant éventuellement conduite par la doctrine de la terre brûlée, voire des sociétés brûlées. Les belligérants seront tentés de recourir aux armes de destruction massive en dernier recours ou comme premier recours « préemptif » ou « préventif ».

Encore pire que les armes de destruction massive, leurs homologues les valeurs de destruction massive qui régneront dans les deux camps et atteindront tout camp.

Ceci nous invite à penser non seulement aux opérations militaires et aux dévastations physiques sans précédent, mais aussi et surtout aux effroyables coûts et dégâts humains et civilisationnels que vont subir l’Homme et les sociétés des deux côtés et qui se répercuteront sur les attitudes des peuples. Pensons surtout aux ponts humains qui vont s’écrouler pour donner place aux murs de séparation, donc de confrontation, qui vont couvrir le paysage ; à la peur et à la haine qui domineront sur nos attitudes, nos relations et nos réflexes. Pensons à la montée en puissance des bas instincts sauvages qui dicteront nos actions et nos réactions ; aux valeurs tribales sans tribu et aux racismes sans race qui nicheront dans les cavernes autant que dans les gratte-ciel. Pensons, en bref, à ce retour forcé et précipité à la barbarie.

Et cette barbarie, généralisée et armée de moyens de destruction massive, de mener à un suicide général.

Il faut empêcher Israël de songer à une pareille guerre. Et ce pour l’intérêt existentiel de toutes les parties et pour la sauvegarde du patrimoine humain, premier garant de notre survie en cette nouvelle ère de globalisation dont le revers dominant est, malheureusement, la globalisation des menaces.

Arrêter cette avancée tant redoutée dépendra de plusieurs volontés et conditions. Nous nous contentons, ici, des seules conditions qui se rapportent aux deux côtés directement concernés, à savoir Israël et le Liban. Dans ces limites, deux conditions nous paraissent nécessaires quoique non suffisantes.

A- Il faut convaincre Israël de renoncer à cette guerre.

B- Il faut rendre le Liban plus convaincant.

Comment ?

Ce sera l’objet des prochains articles à paraître prochainement sur ce site.